Expliciter des situations problématiques ?

Depuis les années 1980, dans le prolongement d’études en biologie, philosophie, sciences du langage et littérature, j’assure différents rôles d’enseignement et d’accompagnement pour servir des buts de préservation et d’amélioration de situations ou de développement de potentialités : culturelles, sociales, économiques ou environnementales.

Concomitamment au service de ce types buts, des aides à la décision sont assurées qui relèvent de choix de vie. Respecter les conditions et les rôles professionnels qui sont les miens dans la plupart des contextes de mes interventions implique que je ne propose pas aux personnes d’expliciter leurs choix de vie en arrière-plan de ces activités.

Pour autant, la pratique nous a appris deux choses concernant ce travail d’explicitation :

  • d’une part il possède une valeur existentielle évidente, favorise un équilibre psychologique et renforce les aptitudes morales…
  • d’autre part, il permet, plus techniquement, de préciser quels sont les choix antérieurs dont découlent les situations problématiques vécues, et d’identifier les possibilités d’action sur les éléments insatisfaisants associés à ces situations.

En partageant et en actualisant mes acquis dans différents domaines de savoir dont les 4 listés ci-dessus, en établissant des relations d’entraide pour le traitement de cette question, je souhaite approfondir la question du pourquoi et du comment de cette activité particulière qui consiste à expliciter ses choix de vie.

Je réalise ce travail en relisant et annotant systématiquement un livre qui m’avait marqué dans les années 1980 et dont la relecture studieuse me permet d’actualiser mes conceptions personnelles enrichies de mes années de pratique : L’avenir de la philosophie par Etienne Souriau, édité par Gallimard en 1982.

L’expression « choix de vie » n’est pas réduite au vécu de telle ou telle personne, il suggère une réalité s’étant cristallisée par des processus de décision, associant différents phénomènes et leurs résultats produits par l’accumulation de facteurs aboutissant à la décision et par des conséquences directes et indirectes.

Pour amorcer un travail d’explicitation, quitte à réviser ultérieurement notre approche, nous proposons de procéder par application d’une modélisation conceptuelle qui a souvent été sous-jacente à nos interventions. Etienne Souriau écrit dans l’ouvrage cité ci-dessus, page 45 : « On ne rend raison de la solution qu’en regardant en face la situation du problème ». Tout un programme découle de cette proposition que je reformule avec une proposition de modélisation qui tient dans une formule hypothétique selon laquelle : chacun peut mieux expliciter et agir sur ces choix de vie en ayant précisé quelle est la Situation Problématique Systématisable Contextualisable et Activable que l’on cherche à mieux connaître pour l’améliorer.

A partir de notre expérience nous avons identifié des principes récurrents lorsqu’on recours à ce support de modélisation :

  • L’enchaînement des 5 opérations mentales : Situer – Problématiser – Systématiser – Contextualiser – identifier des moyens d’Activation ( acronyme : SiProSysC.A ) permet de communiquer à d’autres (ou en se parlant à soi-même) : « voilà la Situation Problématique Systématique Contextualisable et Activable que je chercher à améliorer »,
  • Une sous-opération mentale « plus simple » permet d’entrer dans l’utilisation du modèle, celle qui consiste à faire une liste numérotée des problèmes que l’on rencontre dans sa vie et et sur lesquels on souhaitent agir,
  • Si réfléchir à des « problèmes » à lister n’est pas adapté à la personne; une autre sous-opération mentale consiste à faire une liste numérotée des « situations vécues » ou des « conditions de vie » que la personne veut changer ou améliorer,
  • A chaque problème exprimé, ou à chaque groupe de problèmes méritant d’être considéré comme un ensemble, une situation de vie délimitable dans l’espace et dans le temps peut être associée,
  • Chaque situation de vie méritant une amélioration peut être décrite en terme de problèmes à traiter étant associés à la situation qui « pose problème »,
  • Dès qu’une situation avec son espace-temps est précisée, un contexte est identifiable, au moment où cette identification a lieu, la perception du problème situé / de la situation-problème peut être modifiée,
  • L’effort de systématisation, peut être amorcée par une simple opération de classement des problèmes listés, en les classant par groupes, par sous-groupes, par sous-sous groupes selon les capacités de précision de la personne concernée et le niveau de complexité de la situation problématique,
  • Lorsqu’elle est aboutie, la systématisation doit permettre de lire une situation problématique en tant qu’ensemble d’éléments (problèmes infra-groupes de problèmes) avec première caractérisation des liens et des principes d’interactions entre les éléments listés,
  • A chaque problème exprimé se trouve associé (plus ou moins explicitement) des jugements de valeur sur telle ou telle situation de vie,
  • Lorsqu’on a abouti à la représentation d’un système de problèmes situés, produisant la représentation d’une situation problématique, cette situation problématique doit pouvoir être réexaminée et éventuellement reprécisée à l’aune des éléments de contextualisation associables à chaque problème et à l’ensemble des problèmes faisant système,
  • Cet ensemble « situation problématique systématisé contextualisé » peut être révisé à tout moment, par exemple par insertion ou par exclusion du système de certains problèmes, ou encore par redéfinition du périmètre de la situation problématique à traiter,
  • L’opération mentale qui consiste à identifier des opportunités d’activation peut intervenir à tout autre moment dans le processus d’explicitation de la situation problématique,
  • Dans l’ordre du discours, il est préférable de respecter l’ordre d’énonciation : Situer – Problématiser – Systématiser – Contextualiser – identifier des moyens d’Activation
  • Dans la pratique lors d’un continuum de pensée/langage ( qui prendra des formes variées d’évocation / suggestion / réflexion / expression / figuration / verbalisation… ) aboutissant à une représentation précise de tel problème, chaque problème peut être associé à une ou plusieurs actions permettant d’agir sur lui
  • La question suivante peut être aidante : en face de tel problème que je viens d’énoncer quelle action pourrait être engagée qui agirait sur le problème ? Elle peut être mobilisée à n’importe quel moment du processus d’explicitation.
  • Un travail de reformulation est requis après celui de cette explicitation de la situation problématique. Il s’agira de présenter et proposer une réflexion partagée, voire des aides à la décision, pour agir en connaissance , et pour mieux connaître avant de décider comment agir, après avoir présenté la situation problématique dans des termes appropriables et actionnables par les personnes concernées.